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Nouveau Polar
16 juillet 2007

Chapitre 1

Le Flûtiste

Un

Mon père s’appelait Milton. Il était trompettiste dans un club de Rio de Janeiro qui portait un joli nom : La nuit verte. Sa mort, je m’en souviens bien. Ou plutôt devais-je dire, je me l’imagine dans tous ses détails.  Car le meurtre en lui-même, je ne l’ai pas vu. J’en ai juste entendu parler partout autour de moi, et j’l’ai lu pour ainsi dire, mille et mille fois dans les colonnes «faits divers » des journaux . J’étais chez moi quand ça s’est passé, et je riais de bon cœur avec ma mère peu avant qu’elle me mette au lit. Je me suis endormi et il n’est jamais rentré. Des détails imagés qui continuent aujourd’hui à fendre mon existence, déchirant mes souvenirs, aussi profondément que le rasoir a coupé sa gorge. Cela s’est passé il y a vingt ans dans le centre de la ville, pas loin des arches de Lapa.

Dès lors, les choses n’ont cessé de déraper.

Mon histoire, c’est un peu celle d’un gamin qui serait monté sur un vélo, poussé par des grandes personnes qui lui auraient dit : « Waou, tu vois c’que je vois, Matheus ? Cette terrible descente  dont on n’aperçoit même pas la fin. Je suis sûr que tu peux t’la faire», et qu’au milieu de la fameuse descente, le gamin ait soudainement envie de s’arrêter parce que franchement ça commence à aller un peu vite pour lui. Et alors qu’il tente de ralentir, il s’aperçoit que dans le monde des adultes, on aime bien faire des farces aux petits salopiauds dans son genre, et que les freins fixés sur ses roues ont été dévissés. Il a beau les maudire, sur le coup ça ne lui sert pas à grand-chose. Alors il continue à descendre, il prend les virages, et il tente de ne pas tomber. Il attend que la route se redresse et que son vélo puisse s’arrêter naturellement. Mais cela n’arrive pas. La route reste en pente. Sa vision se perd sur la ligne d’horizon. Et finalement, il se dit qu’il va falloir faire avec parce que la pente est partie pour durer. Il apprend à maîtriser son engin qui file à maintenant à pleine vitesse. Le décor devient moche. Les virages sont de plus en plus serrés. Le temps devient flexible. Un truc qui semble vraiment réel bien que conceptuel, et que chacun a déjà éprouvé au moins une fois dans sa vie lorsque sous la tension qu’on éprouve, les secondes se transforment en heures.

J’ai vécu au rythme de cette descente, de la nuit, de l’aiguille qui venait piquer ma veine. Je suis passé par tous les états. J’ai été plus puant que le plus puant des chiens de rue par un jour de grosse pluie. Pour qui connaît cette ville, ses pluies, et ses chiens errants, l’odeur peut être forte, croyez-moi sur parole.

Puis un beau jour, tout ça a changé. Pas vraiment un miracle, plutôt une manipulation, mais j’y reviendrai plus tard. Sorti de la drogue, je me suis mis à vivre sur un autre rythme. Celui des notes de musiques et des crimes que je commettais. Etrange parcours ? Je sais ce que vous vous dites. Vous vous dites : « mais dans quoi il nous embarque ? Il est quoi au juste : Drogué, musicien ou tueur ? » Et si vous vous interrogez sur ce point, vous avez bien raison, car là est toute la question.

La vérité, c’est que je l’ai été ce grand musicien admiré de tous. Comme mon père. Un type qu’on applaudissait à tout rompre. Un type que les plus belles filles de la ville voulaient voir attaché, rien que pour elles, sur le matelas d’un lit de motel. Lorsqu’à la fin du jour, je posais mes lèvres sur une flûte traversière et que mes doigts s’agitaient sur les touches argentées, j’étais réellement extra, j’veux dire carrément superbe. Les gens écoutaient. Je leur jouais le Chorro. Ils en tombaient le cul par terre. Voilà pour le petit côté glamour.

Lorsque je sortais du club dans lequel tout le monde me connaissait comme ce musicien talentueux, soit je rentrais dans mon appart, soit je revêtais une chemise noire et une casquette de couleur sombre. Dans la seconde hypothèse, je portais aussi un pistolet automatique sous mon aisselle gauche qui allait très bien avec mon costume. Je n’étais pas le seul dans cette ville à porter une arme, mais moi, au contraire de la plus part des gens armés, ni je n’habitais la favela., ni j’étais un membre assermenté d’une quelconque delegacia . La favela… J’y ai même jamais foutu les pieds pour dire vrai. Je n’étais donc pas à priorii ce que la population appelle communément um bandido. Enfin, un peu quand même vu mon teint café au lait, et vu que la société brésilienne a toujours été une superbe machine à assimiler et à combiner les plus belles couleurs, comme les pires et les plus infâmes préjugés.

Mon quartier n’était ni chic ni populaire. Il appartenait à la classe moyenne de Sao Paulo. J’avais les moyens d’habiter dans un plus bel appartement, plus grand et mieux placé, mais je ne sais pas si je m’y serais senti mieux.

J’habitais un endroit qui ni ne me plaisait, ni ne me déplaisait, et je ne pensais jamais devoir déménager. C’était dans un grand immeuble comme il y en a des centaines par ici.

La drogue c’était pas si loin de moi lorsque j’ai tué mon premier type. J’étais en manque, et j’ai rien compris à ce qu’il se passait. Je sais que je tenais le flingue et qu’une voix à mon oreille me commandait de tirer sur ce mec complètement effrayé. Ça faisait partie de ma formation en même temps que de ma cure. On a besoin d’avoir l’esprit clair pour tuer. Je ne sais pas si les amateurs de polars et de films policiers se rendent bien compte de ce que c’est que d’ôter une vie. Sans doute faut-il l’avoir fait pour savoir. Et encore, je dis ça mais très honnêtement ça dépend des personnes, car je dois bien avouer avoir croiser quelques types sans repaire aucun, sans morale, sans rien dans le citron, des vrais fils de putes qui pouvait vous tuer comme on tuerait un moustique et rentrer le soir à la maison avec un grand sourire en se mettant à table avec  parents, frères et sœurs autour d’eux.

Tuer. J’ai jamais aimé faire ça. C’est juste que la vie m’a placé sur le chemin du crime dés l’enfance. Puis lorsque j’étais en perdition, proche de la fin, camé jusqu’à l’os, qui sont ceux qui m’ont sorti de cet enfer ? Je vous le donne en mille : Des criminels de haut vol. Au début je l’ai fait sans même savoir où se situait le bien et le mal. Puis j’ai su. Et j’ai continué. Pourquoi ? Je me pose parfois la question. Par fidélité envers mes sauveurs ? Parce qu’ils m’avaient remis sur les rails, m’avaient permis d’exprimer mon talent musical ? Peut-être au début. Les gens que j’ai descendus à ce qu’on m’a dit, et pour ce que j’ai pu en vérifier, ce n’étaient pas des anges. Je ne pense pas avoir tuer un seul innocent. Ils avaient certainement une famille, avec des enfants peut-être, et même des mamans qui sont allées pleurer tous les dimanches sur leurs tombes, j’dis pas. Tout ça c’est sans doute vrai, mais j’essaye de ne plus y penser aujourd’hui. Comment peut-on vivre en ressassant ces choses-là ? Ce que je sais, c’est qu’ils faisaient partie du crime organisé pour la plupart d’entre eux, et qu’ils étaient plus ou moins puissants.

Je crois surtout que si j’ai pas arrêté tout de suite, c’est que sans personne vers qui me tourner, à part ceux qui m’avaient offert une nouvelle chance (même si au  final le cadeau était empoisonné), j’ai fait le choix du faible. J’ai préféré vivre avec eux, plutôt que mourir tout seul.

J’ai pris une route qui s’est ouverte devant moi. En conscience je l’ai prise tout en sachant qu’elle était mauvaise. À tout moment, lorsque j’en avais encore la possibilité, j’aurais pu faire un pas de côté, arrêter ma marche vers le diable. Ça m’aurait sans doute coûté la vie, mais ça n’aurait coûté que la mienne. Voilà pour le côté pourri.

Aujourd’hui, ce pas de côté, je l’ai fait. Je l’ai fait contraint, par la force des choses, et ça, c’est bien malheureux. Et j’en arrive à ce qui va constituer le plus gros de ce que j’ai à vous raconter :

Récemment deux filles ont bouleversé ma vie. Chacune à leur façon, elles m’ont fait entrevoir quelque chose de plus beau, de plus grand, de plus spirituel que tout ce que j’avais connu jusque-là. Le problème, c’est que rien en ce bas monde ne semble gratuit pour les gens comme moi, même pas le fait d’aimer.  Y a toujours un mec qui vient sonner à votre porte un beau matin et qui vous dit « Hé, mais qu’est-ce que t’as cru ? C’est fini ! Faut rendre les clés » On fini toujours par payer ses erreurs, pas vrai ? On n’échappe rarement à la règle. J’en suis arrivé à cette conclusion il y a peu.

Ce que j’ai fait de ma vie a mis ces deux jeunes femmes en danger, et j’ai dû m’efforcer de tout réparer, de tout remettre en ordre avant de raccrocher. Provoquer un dernier chaos, un terrible chaos. J’ai essayé. J’ai fait du mieux que j’ai pu. Aujourd’hui, je suis libéré. Je suis détruit aussi. Comme secoué par une certaine barbarie dont on aurait du mal à se remettre. Le vélo roule toujours et la descente semble prendre fin. Bientôt je vais pouvoir mettre un pied au sol. Si on vous propose de monter sur un vélo, assurez-vous de pouvoir freiner, c’est le seul conseil que je pourrais donner à mes congénères. Demain, quand j’aurai retrouvé la foi, j’essayerai de tendre une main vers elle, et avec elle, j’essayerai de m’enfoncer à travers les nuages et on tentera de disparaître, comme elle le dit si joliment.

Je m’appelle Matheus Emmerson Marques. J’ai vingt huit ans, j’ai la peau mate, j’ai une tâche de naissance sous l’œil droit et j’habitais encore il y a peu, un quartier tranquille de Sao Paulo.

Voici mon histoire.

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